7/16/2017

Décision de la CJUE au regard des travaux des parties prenantes

La finalité des deux litiges Achbita/G4S et Bougnaoui/Micropole est de confirmer ou d’infirmer l’existence d’une discrimination entachant les décisions de licenciement en question.
Le juge national, en recherche d’une réponse motivée, a interpellé l’intervention de la justice de l’Union européenne.
Comme cela a été relevé auparavant, le rôle de la CJUE dans le cadre de la procédure préjudicielle est de fournir une interprétation du droit de l’Union européenne. Ce travail de la CJUE est encadré par certaines règles de compétence.
D’abord, la CJUE statue conformément aux traités. Elle assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités (voir article 19 du traité sur l’UE).
Ensuite, la CJUE n’est pas investie d’une mission d’application du droit de l’UE à la situation de fait. Puisque l'appréciation des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination relève de la compétence de l'instance judiciaire nationale, en l’occurrence belge et française (voir considérant 15 de la directive 2000/78), l’application du droit de l’UE à la situation de fait revient à la juridiction nationale. Il n’appartient dès lors à la Cour ni de se prononcer sur des questions de fait soulevées dans le cadre du litige au principal, ni de trancher des divergences éventuelles d’opinion sur l’interprétation ou l’application des règles de droit national. (voir ses Recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles 2012/C 338/01)
La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure la CJUE a observé ces normes de compétence ?
Sur un autre niveau, il convient de rappeler que, en plus du concours d’un avocat général qui devrait présenter publiquement ses conclusions motivées en toute « impartialité » et en toute « indépendance », les affaires de la CJUE connaissent la participation des représentants des Etats membres et de la Commission européenne entre autres. D’ailleurs la CJUE est obligée de leur notifier la question préjudicielle qui lui est posée. Ces parties prenantes disposent ainsi d’un délai de deux mois à compter de la notification, pour déposer devant la CJUE des mémoires ou des observations écrites ; ils peuvent encore présenter leurs plaidoiries dans la phase orale de la procédure. C’est dans cette logique qu’interviennent les gouvernements de la Belgique, la France, Irlande du Nord et le Royaume Uni dans l’affaire Achbita/G4S et les gouvernements de la France, Suède et le Royaume Uni dans l’affaire Bouganaoui/Micropole.
En suivant les interventions de ces acteurs aux deux procès, on se rend compte que dans l’affaire Bougnaoui/Micropole, le gouvernement suédois défend que la dérogation à la non-discrimination –dont jouissent les entreprises dans ces affaires- doive être limitée à des éléments qui sont absolument nécessaires pour exercer l’activité professionnelle en question. Autrement dit, l’invocation du port du foulard comme motif de licenciement n’est possible que s’il est absolument nécessaire pour exercer l’activité professionnelle d’ingénieur d’étude. Je me demande comment la société Micropole et les juges de la CJUE ont pu établir le lien entre le foulard de Mme Bougnaoui et son métier d'ingénieure? et dans quelle mesure, si ce lien est établi, le foulard perturbe les activités de la salariée ?
Quant à l’affaire Achbita/G4S, les gouvernements de la République française, le Royaume-Uni, le Royaume de Belgique ont tous admis l’existence d’une discrimination en l’espèce c’est-à-dire ils décident que Mme Achbitat a effectivement été victime d’une discrimination de la part de son employeur G4S.  De sa part, la commission européenne plaide pour l’existence d’une discrimination indirecte dans les deux affaires.
Malgré ce consensus absolu, Mme Juliane Kokott, l’avocat général dans l’affaire Achibta/G4S, a infirmé l’existence d’une discrimination directe en l’espèce. En plus, elle a œuvré, généreusement, pour neutraliser toute hypothèse de discrimination indirecte en dehors de toute question préjudicielle dans ce sens. Mme Juliane Kokott a banalement vidé le sens des garde-fous juridiques protecteurs du principe de l’égalité de traitement à savoir les notions d’ « objectif légitime », « moyens appropriés et nécessaires »… (je reviendrai ultérieurement avec des explications). Quant aux juges de la CJUE, ils ont suivi les conclusions de l’avocat général Mme Juliane Kokott et ont rendu la décision suivante :
« L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive.
En revanche, une telle règle interne d’une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. »
En mots plus accessibles, l’interdiction de porter un foulard islamique prise sur la base du règlement intérieur d’une entreprise privée ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion. Plus encore, même si le juge national arrive à conclure que cette interdiction constitue plutôt une discrimination indirecte à cause du désavantage particulier qu’elle induit à l’encontre de Mme Achbitat et sa communauté, cette discrimination et ce désavantage seront justifiés car l’entreprise poursuit une « politique de neutralité » à l’égard de ses clients,.
Autrement dit, la restriction de la liberté, occasionnée par l’employeur G4S en marge de réalisation de sa politique de neutralité, doit être supportée par sa salariée Mme Achbita même si cette restriction est la conséquence d’une discrimination indirecte. Il en est ainsi pour tout autre employeur car la décision de la CJUE fera loi dans l’Union européenne.
Il semble que la CJUE, en marge de « l’interprétation » des notions de discrimination directe et discrimination indirecte, a fait usage d’une notion floue et mystérieuse sans effort d’encadrement terminologique.  La CJUE cède les droits de l’Homme et les principes européens aux entrepreneurs, munis du soi-disant politique de neutralité. Dorénavant, la dérogation au principe fondamental de l’égalité de traitement est banalisée par l'application d'une mystérieuse « politique de neutralité ».
Une nouvelle bataille dans le domaine du droit de travail a été remportée par les patronats, aujourd’hui sensibles à la religion et demain seront sensibles au .. !

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