La finalité
des deux litiges Achbita/G4S et Bougnaoui/Micropole est de confirmer ou
d’infirmer l’existence d’une discrimination entachant les décisions de
licenciement en question.
Le juge national, en recherche d’une réponse motivée, a interpellé l’intervention de la justice de l’Union européenne.
Le juge national, en recherche d’une réponse motivée, a interpellé l’intervention de la justice de l’Union européenne.
Comme cela a été
relevé auparavant, le rôle de la CJUE dans le cadre de la procédure
préjudicielle est de fournir une interprétation du droit de l’Union européenne.
Ce travail de la CJUE est encadré par certaines règles de compétence.
D’abord, la CJUE
statue conformément aux traités. Elle assure le respect du droit dans
l'interprétation et l'application des traités (voir article 19 du traité sur l’UE).
Ensuite, la
CJUE n’est pas investie d’une mission d’application du droit de l’UE à la
situation de fait. Puisque l'appréciation des faits qui permettent de présumer
l'existence d'une discrimination relève de la compétence de l'instance
judiciaire nationale, en l’occurrence belge et française (voir considérant 15 de la
directive 2000/78), l’application du droit de l’UE à la situation de fait revient
à la juridiction nationale. Il n’appartient dès lors à la Cour ni de se
prononcer sur des questions de fait soulevées dans le cadre du litige au
principal, ni de trancher des divergences éventuelles d’opinion sur
l’interprétation ou l’application des règles de droit national. (voir ses Recommandations
à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de
procédures préjudicielles 2012/C 338/01)
La question
qui se pose est de savoir dans quelle mesure la CJUE a observé ces normes de
compétence ?
Sur un autre niveau,
il convient de rappeler que, en plus du concours d’un avocat général qui devrait
présenter publiquement ses conclusions motivées en toute
« impartialité » et en toute « indépendance », les affaires
de la CJUE connaissent la participation des représentants des Etats membres et
de la Commission européenne entre autres. D’ailleurs la CJUE est obligée de
leur notifier la question préjudicielle qui lui est posée. Ces parties
prenantes disposent ainsi d’un délai de deux mois à compter de la notification,
pour déposer devant la CJUE des mémoires ou des observations écrites ; ils
peuvent encore présenter leurs plaidoiries dans la phase orale de la procédure.
C’est dans cette logique qu’interviennent les gouvernements de la Belgique, la
France, Irlande du Nord et le Royaume Uni dans l’affaire Achbita/G4S et les
gouvernements de la France, Suède et le Royaume Uni dans l’affaire Bouganaoui/Micropole.
En suivant les
interventions de ces acteurs aux deux procès, on se rend compte que dans
l’affaire Bougnaoui/Micropole, le gouvernement suédois défend que la dérogation
à la non-discrimination –dont jouissent les entreprises dans ces affaires- doive
être limitée à des éléments qui sont absolument nécessaires pour exercer
l’activité professionnelle en question. Autrement dit, l’invocation du port du foulard
comme motif de licenciement n’est possible que s’il est absolument nécessaire
pour exercer l’activité professionnelle d’ingénieur d’étude. Je me demande comment
la société Micropole et les juges de la CJUE ont pu établir le lien entre le
foulard de Mme Bougnaoui et son métier d'ingénieure? et dans quelle mesure, si ce lien
est établi, le foulard perturbe les activités de la salariée ?
Quant à l’affaire
Achbita/G4S, les gouvernements de la République française, le Royaume-Uni, le
Royaume de Belgique ont tous admis l’existence d’une discrimination en l’espèce
c’est-à-dire ils décident que Mme Achbitat a effectivement été victime d’une discrimination
de la part de son employeur G4S. De sa part, la commission européenne
plaide pour l’existence d’une discrimination indirecte dans les deux affaires.
Malgré ce
consensus absolu, Mme Juliane Kokott, l’avocat général dans l’affaire
Achibta/G4S, a infirmé l’existence d’une discrimination directe en l’espèce. En
plus, elle a œuvré, généreusement, pour neutraliser toute hypothèse de
discrimination indirecte en dehors de toute question préjudicielle dans ce sens.
Mme Juliane Kokott a banalement vidé le sens des garde-fous juridiques protecteurs
du principe de l’égalité de traitement à savoir les notions d’ « objectif
légitime », « moyens appropriés et nécessaires »… (je reviendrai
ultérieurement avec des explications). Quant aux juges de la CJUE, ils ont suivi
les conclusions de l’avocat général Mme Juliane Kokott et ont rendu la décision suivante :
« L’article
2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre
2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement
en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que
l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne
d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique,
philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination
directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette
directive.
En
revanche, une telle règle interne d’une entreprise privée est susceptible de
constituer une discrimination indirecte au sens de l’article 2, paragraphe 2,
sous b), de la directive 2000/78 s’il est établi que l’obligation en apparence
neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les
personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle
ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite
par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de
neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de
réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu’il appartient
à la juridiction de renvoi de vérifier. »
En mots plus
accessibles, l’interdiction de porter un foulard islamique prise sur la base du
règlement intérieur d’une entreprise privée ne constitue pas une discrimination
directe fondée sur la religion. Plus encore, même si le juge national arrive à conclure
que cette interdiction constitue plutôt une discrimination indirecte à cause du
désavantage particulier qu’elle induit à l’encontre de Mme Achbitat et sa
communauté, cette discrimination et ce désavantage seront justifiés car l’entreprise
poursuit une « politique de neutralité » à l’égard de ses clients,.
Autrement dit,
la restriction de la liberté, occasionnée par l’employeur G4S en marge de
réalisation de sa politique de neutralité, doit être supportée par sa salariée
Mme Achbita même si cette restriction est la conséquence d’une discrimination
indirecte. Il en est ainsi pour tout autre employeur car la décision de la CJUE
fera loi dans l’Union européenne.
Il semble que la CJUE, en marge de « l’interprétation » des notions de
discrimination directe et discrimination indirecte, a fait usage d’une notion floue
et mystérieuse sans effort d’encadrement terminologique. La CJUE cède les droits de l’Homme et les
principes européens aux entrepreneurs, munis du soi-disant politique de
neutralité. Dorénavant, la dérogation au principe fondamental de l’égalité de
traitement est banalisée par l'application d'une mystérieuse « politique de neutralité ».
Une nouvelle bataille
dans le domaine du droit de travail a été remportée par les patronats, aujourd’hui sensibles à la religion et demain seront sensibles au .. !
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