6/27/2017

Affaire française : Mme Bougnaoui/ Micropole SA

Cette affaire oppose Mme Asma Bougnaoui, en qualité de salariée, à la société Micropole SA (anciennement Micropole univers SA), en qualité d’employeur. Mme Asma Bougnaoui est ingénieur d’études depuis 15 juillet 2008 cher Micropole SA.
Mme Asma Bougnaoui a été soutenue dans cette affaire par l’Association de défense des droits de l’homme (ADDH).
Dans le détail des faits, Micropole SA a licencié par lettre du 22 juin 2009 Mme Asma Bougnaoui, de confession musulmane, arguant du fait que son client, société Groupama, considère gênant « le port du voile » et ordonne « pas de voile la prochaine fois ». 
Dans la procédure, Mme Bougnaoui a recouru en novembre 2009 à la justice française pour contester son licenciement, réputé discriminatoire.  Au premier degré, le conseil de prud’hommes de Paris répute dans son jugement rendu le 4 mai 2011 que le licenciement est légal car « la restriction à la liberté de Mme Bougnaoui de porter le foulard islamique était justifiée et proportionnée ». Au deuxième degré, la victime recourt à la cour d’appel de Paris qui, de son tour, a confirmé ce jugement par arrêt du 18 avril 2013.
L’argumentation des juges dans cette affaire consiste à estimer que l’employeur est en droit de licencier une salariée lorsque le foulard qu’elle porte et le contact directe qu’elle entretient avec la clientèle sont de nature à nuire à l’image de l’employeur et à heurter les convictions et les sensibilités de ses clients. 
Insatisfaite, Mme Bougnaoui a saisi la cour de cassation pour violation de la loi notamment les articles L. 1121-1, L. 1321-3 et L. 1132-1 du code du travail français (ce code a subi des modifications ; j’y reviendrai au moment opportun). Elle considère que « les restrictions à la liberté religieuse devraient être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour autant que l’objectif est légitime et l’exigence est proportionnée » comme l’exige l’article 4, paragraphe 1 de la directive 2000/78.
A ce stade de la procédure, la cour de cassation a suscité, par décision du 9 avril 2015, l’aide de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) et lui demande en substance de savoir est ce que, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition ?
Partant d’une insuffisance de clarté de la question substantielle émise par la cour de cassation française, la CJUE a corrigé cette question et a établi deux hypothèses dérivées ; une portant sur la discrimination directe et l’autre sur la discrimination indirecte. Pour approcher la deuxième hypothèse, la CJUE s’est penchée dans un premier temps à discuter la règle de discrimination directe en invitant le juge national d’infirmer ou de confirmer son existence et puis dans un deuxième temps s’est penchée à discuter la dérogation de cette règle. Or, cette approche n’a pas été respectée dans la vérification de la deuxième hypothèse concernant la discrimination directe, puisque la CJUE s’est penchée immédiatement à discuter la dérogation.
En revanche, l’avocat général (voir point 88 de ses conclusions) a conclu que Mme Bougnaoui est victime d’une discrimination directe basée sur sa religion au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78. En guise de preuve, l’Avocat Général considère qu’ « un ingénieur d’études travaillant chez Micropole qui n’aurait pas choisi de manifester ses croyances religieuses en portant une tenue vestimentaire particulière n’aurait pas été licencié.. ». Autrement dit, Mme Bougnaoui est traitée de manière moins favorable qu'une autre salariée se trouvant dans la même situation et optant pour des convictions différentes ou choisissant de ne pas manifester ses croyances.
En agissant de la sorte, la CJUE a privé Mme Bougnaoui sans explication de bénéficier d’un régime de discrimination directe plus rigide que la discrimination indirecte. De même, la CJUE renvoie à sa jurisprudence issue de l’affaire belge (Achabita/G4S) et promut les conclusions y afférentes (voir article : Affaire belge : Mme Achbita/G4S) ; jurisprudence qui profite gracieusement d’une interprétation non restrictive de la dérogation prévue par la directive en ce qui concerne la discrimination indirecte. Alors qu’en principe cette dérogation doit être interprétée de manière restrictive puisqu'il s’agit d’une exception.
Sinon, la CJUE a fini par considère que « la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante.» Autrement dit, le motif de licenciement évoqué par la société Micropole SA pour licencier Mme Asma Bougnaoui est illégal au sens du droit européen. L'arrêt de la CJUE est intervenu le 14 mars 2017 après avoir reçu la question préjudicielle le 24 avril 2015.


En fin, si cet arrêt semble bénéficier à Mme Bougnaoui, il profite à  Micropole SA et en substance à tout employeur puisqu’il les éveille sur les possibilités offertes par les dérogations associées au régime de la discrimination indirecte. Sachant que la dérogation en constitue pas en elle-même un problème, le problème découle de l’interprétation vaste et illimitée de ladite dérogation contrairement à la volonté du législateur européen et de l’esprit du texte de la directive.

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