A ce stade d’analyse, je préfère commencer par une actualité
qui concerne l’affaire C‑157/15 Samira Achbita/G4S car elle cadre
parfaitement avec l’objet de cet article.
Suite à l’arrêt rendu par la CJUE le 14 mars 2017, la Cour
de cassation de la Belgique a cassé l’arrêt de la Cour du travail d'Anvers et a
conclu que celle-ci « aurait dû évaluer si la politique de neutralité
de G4S pouvait se justifier en vertu de la législation
anti-discrimination ». C’est une bonne nouvelle pour les uns et
mauvaise pour les autres !
Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse et pour constater le silence radio impressionnant enregistré par la presse européenne, notamment française et belge, a l’égard de cette actualité, théoriquement en faveur de Mme Achbita, contrairement à l’actualité jurisprudentielle du 14 mars 2017, apparemment en faveur du courant européen « anti-voile ». Je ferme cette parenthèse car je reviendrai au sujet du traitement médiatique de l’arrêt de la CJUE dans un prochain article.
En revenant à la conclusion précitée de la Cour de cassation Belge, on se trouve, au niveau doctrinal, devant une question pertinente voir même choquante à savoir : est-ce que la discrimination est justifiable ?
Le présent article contribue à la réponse à cette question
avec des preuves à l’appui.
De prime d’abord, il va sans dire que la discrimination est
évidemment un acte inhumain qui entache le principe fondamental de l’égalité de
traitement. Elle ne peut être ni accepté ni tolérée.
En matière d’emploi et de travail, les effets directes de la
discrimination sans cruels et néfastes car elle touche l’épanouissement
professionnel de tout salarié et sa capacité de gagner sa vie. Pour l’UNISCO,
pour ne citer que cet exemple, « La discrimination raciale est un poison qui
mine les individus et les sociétés, perpétue les inégalités et nourrit la
colère, l’amertume et la violence ... »
Ainsi, en lisant l’intégralité de la directive 2000/78, il paraît évident que le législateur de l’Union européenne manifeste son attachement à la protection du principe fondamental de l’égalité de traitement et, par conséquent, à la lutte contre la discrimination.
Cependant, malgré son caractère fondamental, ce principe est sujet de certaines exceptions scrupuleusement encadrées par les sages, rédacteurs de la directive 2000/78. Il s’agit d’un régime dérogatoire institué notamment par l’article 2, paragraphe 2, b) sous i) et l’article 4, paragraphe 1 de la directive 2000/78.
i. Régime dérogatoire à la non-discrimination prévu par l’article
2, paragraphe 2, b) sous i)
Le paragraphe 2 de l’article 2 stipule ce qui suit :
2. Aux fins du paragraphe 1 :
a) une discrimination directe se produit (..) ;b) une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés, par rapport à d'autres personnes, à moins que :i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires (…) »
D’abord, il faut souligner que cet article ne prévoit pas de
dérogation en faveur de l’auteur d’une discrimination « directe ». Du
point de vue des employeurs, parties au litige, la discrimination directe est
une disposition qu’il faut fuir à tout prix car elle ne leur offre en réalité qu’une
seule sortie non aisée (voir point ii suivant).
Il en découle ensuite que l’exception s’applique à la seule discrimination « indirecte ». Pour évoquer cette exception, l’employeur, présumé auteur d’une discrimination « indirecte », doit apporter la preuve :
-Qu’il poursuit un « objectif légitime »
-Que les moyens de réaliser cet objectif sont « appropriés »
et « nécessaires »
Nous voici alors devant de nouvelles notions qui exigent un effort de définition. Je vais y revenir lors de l’analyse des arrêts de la CJUE et des conclusions des avocats généraux.
ii. Régime dérogatoire à la non-discrimination prévu par l’article
4, paragraphe 1.
L’article 4, relative aux exigences professionnelles,
stipule dans son paragraphe 1 que
« Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. (..) »
Contrairement à l’exception précédente, prévue par l’article
2, la dérogation prévue par l’article 4, paragraphe 1 s’applique à la discrimination
indépendamment de son type. Cette dérogation s’applique à la fois, à la
discrimination « directe » et à la discrimination
« indirecte ».
Il faut encore souligner que la discrimination rendue licite,
car justifiée, n’est pas celle fondée sur la religion en soi mais sur une
caractéristique liée à la religion ou à toute autres motifs protégés. Cette
caractéristique peut être par exemple un objet (foulard, turban, kippa..) ou une façon de faire ou de vivre (barbe,..)
Pour évoquer l’exception de l’article 4, paragraphe 1, le présumé auteur d’une discrimination « directe » ou « indirecte » doit apporter la preuve que :
-L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 est
transposé dans le droit nationale ;
-La différence de traitement autorisée est fondée sur une
caractéristique liée à la religion (ou autres droits protégés) et non sur la
religion elle-même ;
-La caractéristique doit constituer une exigence professionnelle ;
-L’exigence professionnelle, en question, doit être
essentielle et déterminante ;
-L’auteur de la discrimination poursuit un objectif légitime ;
-L’exigence est proportionnée.
A cela, il faut, de mon point de vue, ajouter une
condition générale, à savoir « l’applicabilité de la dérogation dans des
circonstances très limitées » qui découle du considèrent 23 de la
directive 2000/78.
On peut ainsi réécrire la première condition comme
suit : « L’existence d’une loi nationale transposant l’article 4, paragraphe 1»
et « son application dans des circonstances très limitées »
Faites la comparaison entre l’encadrement du « principe
de l’égalité de traitement » par une définition simple (voir paragraphe 1
de l’article 2 ) et l’encadrement de la dérogation à la
non-discrimination par des conditions draconiennes mais raisonnables ;
faites cette comparaison pour se persuader que :
-La discrimination est un acte étrange à une société de
l’Homme ;
-Les droits humains dont le droit à la religion sont
protégés contre la discrimination au sein même des entreprises ;
-L’employeur est propriétaire de l’entreprise ; il
n’est guère propriétaire des travailleurs et travailleuses ;
-Le régime dérogatoire ne brise en rien la primauté infaillible
du principe de l’égalité de traitement et de non-discrimination ;
-Le régime dérogatoire ne doit pas être considéré par les
employeurs comme un moyen de promouvoir la discrimination des salariés ;
-L’auteur d’une discrimination, qui évoque le régime
dérogatoire, doit souffrir pour justifier à juste titre son acte
discriminatoire et convaincre la société, son adversaire et les juges ;
Devant cet état des choses, les juristes, et en particulier
les juges, traitant les litiges liés à la discrimination, ne doivent pas
contribuer à banaliser ces conditions prévues par la directive 2000/78 pour
protéger la société, et en particulier les salariés, contre la discrimination.
A défaut de faire, ils finissent par vider la directive 2000/78 de sa substance
et détourner son esprit et la volonté de ses rédacteurs.
Alors, dans quelle mesure la CJUE a observé ces conditions lors de son interprétation du régime dérogatoire en matière de discrimination ?
iii. Interprétation de la CJUE du régime dérogatoire à la
non-discrimination
Pour discuter cette dernière question, et avant d’entrer
dans le détail des arrêts de la CJUE et travaux des avocats généraux, j’invite
les lecteurs à une intense réflexion
sur les conclusions de CJUE :
Conclusion de la CJUE dans l’affaire belge
« (..) l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive. »
« En revanche, une telle règle interne d’une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte (..), à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires (..) »
Pourquoi la CJUE s’autorise de juger les faits et donner des
exemples qui vont rendre le régime dérogatoire une pratique générale, courante
et aisée ?
N’est-il pas judicieux de se contenter d’interpréter les
dispositions de la directive indépendamment des faits dont l’appréciation
incombe aux autorités judiciaires nationales ?
Est-ce qu’il s’agit d’une interprétation ou d’un
jugement ?
Est-ce que c’est difficile pour un chef d’entreprise, qui
souhaite licencier une travailleuse voilée, d’évoquer une une soi-disant politique de neutralité !
Regardez bien comment la CJUE donne des Passe-partout à
une catégorie d’employeurs qui veulent massacrer les droits de leurs salariés
sans supporter aucune responsabilité !!
Ceci dit pour l’affaire belge, qu’en est-il pour l’affaire
française ?
Conclusion de la CJUE dans l’affaire française
« (..) la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante (..). »
Cette conclusion est positive à l’égard de la travailleuse, victime d’un licenciement abusive. Or, dans son analyse (point 33 de l’arrêt),
la CJUE se manifeste fidèle à son approche d’interprétation (quasi-jugement) et
promut sa conclusion dans l’affaire belge comme suit :
« une telle différence de traitement (c’est-à-dire une telle discrimination) ne serait pas constitutive d’une discrimination indirecte, si elle était objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la mise en œuvre, par Micropole, d’une politique de neutralité à l’égard de ses clients, et si les moyens de réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires »
Quelle ouverture !
Quelle feuille de route !!
Par ces ouvertures, j’imagine la CJUE entraîne de
« conseiller » les employeurs en ces mots : Mettrez en place une
politique de neutralité -qui ne vous coûte rien- et licenciez comme bon vous
semble.
Avant de conclure, j’aimerai rappeler que les mesures anti-discrimination
prévues par la directive 2000/78 sont des « exigences minimales » et
les États membres sont appelés à adopter des mesures plus favorables à la
lutte contre la discrimination soit des mesures plus favorables à la protection
des salariés. Or, d’après l’analyse des conclusions de la CJUE, il semble que
ces exigences ont été réduites à néant et rien de minimal ne reste pour protéger
les salariés et leurs droits fondamentaux. Dorénavant, la dérogation à
l’égalité de traitement, en principe difficilement accessible, devient par concours
jurisprudentiel de la CJUE, une règle aisément applicable par les chefs
d’entreprises. Autrement dit, à partir du 14 mars 2017, la discrimination
devient une sanction, vachement justifiée, à l'encontre de ceux et celles qui osent exercer leurs libertés
individuelles en matière de travail et d’emploi, sauf si les juges nationaux recadrent
leurs homologues européens. J'espère que les juges de la Cour de cassation de la Belgique serviront un modèle à suivre.
En arrivant à ce stade, et en lisant les conclusions de la CJUE, rendues dans les affaires C-157/15 Achbita/ G4S et C-188/15
Bougnaoui / Micropole Univers, il sera éventuellement facile de dire que les
juges de CJUE ont encouragé les futurs auteurs des actes discriminatoires à
fuir les conditions « antidiscriminatoires » prévues par la directive
2000/78 et en conséquence à fuir leur responsabilité. Ils risquent de contribuer
à promouvoir la discrimination, masquée sous formes de politique de neutralité
ou règle de règlement interne d’entreprise !
Est-ce que c’est difficile pour un chef d’entreprise de
prévoir une règle dans le règlement intérieur de son entreprise pour se prémunir
contre les conséquences de la non-discrimination directe ?!
Est-ce que c’est difficile pour un chef d’entreprise de
prévoir une soi-disant politique de neutralité pour justifier une
différence de traitement à savoir un licenciement fondé sur le voile porté
par sa travailleuse ?!
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