10/07/2017

Terminologie et preuve de discrimination

D’après les explications issues de l’analyse précédente de l’article 1 de la directive 2000/78, il parait évident que le législateur européen souhaite protéger fermement la liberté de religion ou de convictions des travailleurs contre la discrimination émanant des employeurs car celle-ci entache et anéantit le principe fondamental de l’égalité de traitement.
Dans le même sens, les rédacteurs de la directive 2000/78 ont conçu une approche juridique fondée sur trois piliers : i. la définition du « principe de l’égalité de traitement », ii. la caractérisation des formes de discrimination et iii. l’aménagement de la charge de preuve.

i. Concept de l'égalité de traitement
Il va sans dire que la terminologie est décisive dans l’appréhension de tout discours de nature juridique. Dans cette logique, la directive 78/2000 a donné une définition à la notion du « principe de l’égalité de traitement » en vue d’assurer sa mise en œuvre univoque en cohérence avec la volonté du législateur. Ainsi, le paragraphe 1 de l’article 2 définit « le principe de l’égalité de traitement » comme:  
« (..) l'absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l'article 1er. »
Il découle de cette définition que la violation du principe de l’égalité de traitement est établie du simple fait de la constatation d’une discrimination fondée sur la religion ou sur les autres motifs protégés**. Cette discrimination est perçue comme une sonnette d’alarme qui renseigne sur l’existence d’une violation du principe de l’égalité de traitement.  La sonnette d’alarme est déclenchée dès qu’il y a signe de discrimination.
Le concept « égalité de traitement » est tellement grand qu’il est difficile ou impossible de le définir de façon directe car elle encadre d’innombrable cas de figure et traits caractéristiques. Pour remédier à ce complexe sémantique, les rédacteurs de la directive ont livré une quasi-définition renvoyant vers une autre notion facile à définir à savoir la discrimination.
Pour illustrer cette approche par un exemple simple, je me demande de définir le concept « tissu propre ». En guise de réponse on peut dire que « on entend par " tissu propre" l'absence de toute saleté ». Par analogie, le « tissu propre » dans cet exemple représente « l’égalité de traitement » et la « saleté » représente la « discrimination ».
Ce qu’on peut retenir de cette approche de définition c’est que la discrimination est un acte prohibé qui renseigne sur la violation du principe de l’égalité de traitement ; violation d’un principe qui protège les valeurs naturelles associée à l’Homme à savoir le genre, l’âge ainsi que la religion, les convictions et le handicap.

ii. Les caractéristiques de la discrimination
En plus de la définition du concept « principe de l’égalité de traitement », les rédacteurs de la directive se sont penchés sur la caractérisation de l’acte de discrimination.
Ainsi, pour faire perdre les employeurs toute chance de masquer leurs actes discriminatoires, le législateur européen a institué la notion de « discrimination indirecte » à côté de la notion de « discrimination directe ». L’article 2, paragraphe 2 clarifie ces notions comme suit :
2. Aux fins du paragraphe 1:a) une discrimination directe se produit lorsqu'une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l'un des motifs visés à l'article 1er;b) une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés, par rapport à d'autres personnes, (..)
Il découle de la lecture de ces dispositions que la discrimination directe est la discrimination évidente exercée franchement par une personne sur une autre. Alors que la discrimination indirecte est une discrimination masquée dans un écrit (disposition ou critère) ou pratique qui, malgré son apparence neutre, produit des effets discriminatoires. Ensuite, la discrimination directe cible personne par personne alors que la discrimination indirecte cible plusieurs personnes appartenant à une catégorie fondée sur une religion ou convictions, âge ..
Important est de retenir à ce stade que la protection contre la discrimination constitue un droit universel protégés, entre autres par la Déclaration universelle des droits de l'homme, par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par La Convention n° 111 de l'Organisation internationale du travail interdit la discrimination en matière d'emploi et de travail. Ce droit est aussi consacré par la directive 78/2000 qui prohibe la discrimination dans toute ses formes manifeste (directe) et cachée (indirecte).

iii. La preuve de la discrimination
Pour exprimer l'attachement à leur conviction de défenseur du principe fondamental de l’égalité de traitement, les rédacteurs de la directive ont pensé au système de preuve pour l’utiliser comme instrument de promotion de l’égalité et de lutte contre la discrimination.
L’article 10, paragraphe 1, de la directive énonce :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement »
 D’après cet article, la discrimination se présume et la preuve du contraire est mise à la charge du présumé auteur de ladite discrimination. Autrement dit, la partie demanderesse, victime d’une différence de traitement, présente les faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination tandis que la charge de preuve du respect du principe de l’égalité de traitement -soit la preuve de l’absence de discrimination- revient au présumé auteur de la discrimination, la partie défenderesse en l’occurrence.
Concrètement, si un (e) salarié (é) s’adresse à la justice pour prétendre qu’il (elle) a subi un acte discriminatoire, le juge prend en charge les faits présentés par la victime et demande à l’employeur, auteur présumé de la discrimination, d’apporter la preuve qu’il n’a pas commis de discrimination.
Sur un autre plan, le considérant (15) de la directive 2000/78, exige que l'appréciation des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte appartient à l'instance judiciaire nationale conformément au droit national ou aux pratiques nationales. Le rôle de la CJUE dans ce cadre se limite à fournir une interprétation du droit de l’Union, et non d’appliquer ce droit à la situation de fait qui sous-tend la procédure au principal. En conséquence, il n’appartient dès lors à la CJUE ni de se prononcer sur des questions de fait soulevées dans le cadre du litige au principal, ni de trancher des divergences éventuelles d’opinion sur l’interprétation ou l’application des règles de droit national (voir Recommandations à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles 2012/C 338/01).
Dans quelle mesure la CJUE a respecté ces conditions (définition, caractéristique et preuve et appréciation des faits, pouvoir d’appréciation des faits) dans le traitement des affaires belge et française ?
Une question est posée au chercheur dans la perspective du contrôle de l’application de la CJUE du droit, expression suprême de la volonté des peuples. En d’autres termes dans quelle mesure la CJUE a respecté la volonté des européens dans l’interprétation ou le « jugement » de ces deux affaires ?
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** Pour des considérations pédagogiques et de cohérence avec l’objet des deux arrêts, je vais souvent me contenter de citer le motif de religion sans avoir la volonté de négliger les autres motifs ou caractéristiques.

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